1 septembre 2016

[Yves Chiron - Aletheia] Un nouvel "évêque indépendant"

SOURCE - Yves Chiron - Aletheia - 1er septembre 2016

L’Église a connu depuis les premiers siècles des vagantes : prêtres d’origine diocésaine sans incardination, prêtres réguliers en rupture de communauté, évêques consacrés en rupture avec le Saint-Siège, en infraction des règles canoniques ou à la succession apostolique douteuse. 

Le latin Episcopus vagans est parfois traduit en français par l’expression évêque vagabond, ce qui traduit mal la rupture de l’unité catholique qu’introduit un sacre sans mandat pontifical ou, plus grave encore, un sacre accompli malgré l’interdiction du Saint-Siège – ce fut le cas des évêques ”constitutionnels” sacrés sous la Révolution française ou des sacres accomplis par Mgr Lefebvre en 1988.

Les consécrations épiscopales conférées à l’encontre de la discipline ecclésiastique sont ”illicites” mais pas toujours ”invalides” et toutes n’aboutissent pas à la création d’”églises” autocéphales. Le P. Chéry, o.p. [1902-1977] parlait de « petites Églises françaises » dans L’Offensive des sectes (Cerf, 1954 ; 3e éd., 1959).
  
Aujourd’hui pour désigner les communautés issues de sacres illicites ou invalides, prévalent, chez les historiens et les sociologues, les expressions ”églises parallèles”, ”églises indépendantes” ou ”églises catholiques non romaines”. Le terme ”églises” employées pour désigner ces communautés est, du point de vue de l’ecclésiologie catholique, inadéquat [note 1].
  
La dénomination ”évêques indépendants” adoptée par le sociologue des religions Jean-François Mayer et que l’on trouve chez certains auteurs anglo-saxons (independent bishop et aussi bishop extraordinary) est peut-être plus exacte. Mais ces expressions, plus neutres, ne disent rien de la succession apostolique, de la communion avec le Saint-Siège, de la validité des consécrations accomplies.
  
On pourrait parler plus simplement de ”lignées épiscopales non-canoniques », qu’elles aient abouti, ou non, à la constitution d’”églises” autocéphales.
  
Depuis quelques années se développe une nouvelle lignée épiscopale non-canonique, qu’on peut appeler la lignée williamsonienne. Depuis le 19 mars dernier elle compte un nouvel évêque.
Dom Thomas d’Aquin
Miguel Ferreira da Costa est né à Rio de Janeiro en 1954. Dès son adolescence, la rencontre qu’il fit de l’écrivain catholique brésilien Gustavo Corção [1896-1978] et la formation qu’il reçut de lui furent décisives dans l’éveil de sa vocation religieuse. Entré en 1974 au prieuré bénédictin de Bédoin fondé quatre ans plus tard par Dom Gérard [1927-2008], il y reçut le nom de religion de Thomas d’Aquin. Il fit sa profession religieuse le 28 octobre 1976 et fut ordonné prêtre à Écône par Mgr Lefebvre le 27 juin 1980.

Il est à noter qu’il fut le seul moine de Bédoin puis du Barroux à avoir reçu une partie de sa formation au séminaire d’Écône : pendant un an en 1984-1985 – il était déjà prêtre. 

En mai 1987 il fut parmi les fondateurs du monastère de Santa Cruz au Brésil, première fondation du Barroux et il en fut nommé prieur délégué par Dom Gérard. En 1988, après les sacres accomplis par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Meyer, il refusa de suivre Dom Gérard dans sa démarche de réconciliation avec Rome et de retour à l’unité catholique. Sous l’influence de laïcs brésiliens très attachés à Mgr Lefebvre, et avec l’appui de certains pères et frères du monastère de Santa Cruz, il rompit brutalement (jusqu’à la violence) avec Dom Gérard et avec le monastère du Barroux.

Sans retracer l’histoire du monastère de Santa Cruz depuis la rupture avec Dom Gérard (août 1988) jusqu’au sacré épiscopal accepté par Dom Thomas d’Aquin (19 mars 2016), on doit relever que celui-ci, après avoir adopté les positions et décisions prises par Mgr Lefebvre en 1988, s’est montré, à partir du début des années 2000, de plus en plus critique à l’égard des positions et décisions exprimées par la Fraternité Saint-Pie X. 

Mgr Fellay, après le Jubilé de l’an 2000, avait accepté d’engager des discussions avec le Saint-Siège. Selon Dom Thomas d’Aquin, aucun rapprochement avec Rome et aucune « solution » n’étaient possibles tant que le concile Vatican II – qu’il considère comme « la plus grande catastrophe de l’histoire de l’Église depuis sa fondation » – restera « la référence privilégiée ».

Sous le pontificat de Benoît XVI, malgré le motu proprio « libérant » la messe traditionnelle (7 juillet 2007) et la levée des excommunications qui frappaient les évêques sacrés par Mgr Lefebvre (21 janvier 2009), Dom Thomas d’Aquin est resté hostile à tout accord avec Rome.

La rupture avec Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, fut rendue publique en 2012. La position maximaliste de Dom Thomas d’Aquin n’était pas isolée. Elle était partagée par les religieux d’inspiration dominicaine d’Avrillé, par certains prêtres de la FSSPX et Mgr Williamson, un des 4 évêques sacrés par Mgr Lefebvre.

C’est ce front du refus qui a constitué, le 15 juillet 2014, l’Union Sacerdotale Marcel Lefebvre (USML), patronnée par Mgr Williamson et composée à l’origine de 18 prêtres (issus de la FSSPX ou religieux).

Le 19 mars 2015, l’USML s’est dotée d’un évêque : Mgr Williamson a sacré évêque l’abbé Jean-Michel Faure, prêtre qui avait été ordonné par Mgr Lefebvre en 1977 et avait exercé différentes responsabilités dans la FSSPX en Amérique du sud.

Dans une brochure publiée par l’USML à l’occasion du sacre de Mgr Faure [note 2], Dom Thomas d’Aquin justifiait ce nouveau sacre sans l’accord de Rome en estimant qu’il était nécessaire « pour assurer la continuité de l’oeuvre de Mgr Lefebvre » (mise en péril par « la tendance accordiste de Menzingen ») et parce que « la situation reste essentiellement la même qu’en 1988. La Rome moderniste qui s’est manifestée au Concile reste en place et devient de plus en plus moderniste et libérale. »

Un an plus tard, le 19 mars 2016, lui-même recevait la consécration épiscopale des mains de Mgr Williamson, avec Mgr Faure comme co-consécrateur.

Ainsi se développe une lignée épiscopale non-canonique williamsonienne, comme il y a depuis 1976 une lignée thuciste et depuis 1988 une lignée lefebvriste.

Que des évêques issus de ces lignées épiscopales non-canoniques retrouvent un jour la communion avec Rome, la chose n’est pas impossible. L’exemple de Mgr Rangel [1936-2002] l’atteste. Il fut consacré le 28 juillet 1991, sans l'accord de Rome, par Mgr Tissier de Mallerais, assisté de Mgr de Galarreta et de Mgr Williamson. Un an plus tard, le 15 août 2001, Il s’est réconcilié avec le Saint-Siège.

Mais l’histoire de l’Église montre que ces lignées épiscopales non-canoniques perdurent dans le temps et souvent se constituent en églises autocéphales.

YVES CHIRON
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1 L’expression ”Églises indépendantes” est employée, notamment, par Jan Steperov dans sa nomenclature très précise (quoique incomplète) : La Succession apostolique dans les Églises catholiques, Mission Sainte-Rita, 1992, 111 pages. Jan Steperov était le pseudonyme de Mgr Jean Prévost (mort en 1999). Il avait été sacré évêque en 1953 par Mgr Maas, de l’Église vieille-catholique de l’Union d’Utrecht, puis il avait fondé en 1964 l’Église Gnostique Chrétienne. Il a consacré à son tour au moins 6 évêques entre 1956 et 1992.
L’expression ”Églises catholiques non romaines” est employée par Bernard Vignot dans un Répertoire qu’il a publié à compte d’auteur à partir de 1982 et qui est mis à jour régulièrement. Il est à noter que Bernard Vignot est prêtre vieux-catholique de l’Union d’Utrecht. Dans les deux ouvrages sur le même sujet qu’il a publiés aux éditions du Cerf, il a adopté une autre qualification : Les Églises parallèles (1991) et Le Phénomène des églises parallèles (2010).
  
2 U.S.M.L., Opération survie. Le Sacre de Mgr Jean-Michel Faure, 2015, 33 p.