2 septembre 2016

[Philippe Vilgier - Présent] Sainte-Rita : une messe, un enjeu - Entretien avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn

SOURCE - Philippe Vilgier - Présent - 2 septembre 2016

— Monsieur l’abbé, vous avez annoncé (voir Présent du 17 août) que vous alliez célébrer le dimanche 4 septembre une messe à 11 heures devant l’église Sainte-Rita du XVe menacée de destruction…

— J’invite le plus grand nombre de personnes à nous rejoindre pour cette messe très importante, qui d’ailleurs constitue un enjeu en elle-même dans l’atmosphère politique actuelle. Elle a d’abord été interdite sans explication par la préfecture, puis autorisée le lendemain au vu des deux messes que nous avions organisées sans anicroche, devant Sainte-Rita, le 7 et le 15 août.

L’enjeu est capital pour la bonne santé de notre laïcité. Il est essentiel que nous puissions manifester le désaccord d’une large partie de la population du XVe et, plus largement, de tous les Parisiens qui veulent être entendus sur ce sujet sensible : détruire une église en plein Paris aujourd’hui, c’est attenter gravement à l’ordre public et laisser le champ libre aux catholiques radicalisés : bref c’est impossible !

La liberté d’expression, surtout en matière religieuse, – je préciserais : la liberté d’expression des catholiques en France dans l’espace public – est un domaine particulièrement sensible en ce moment, rien ne doit la restreindre, dans l’état actuel de notre droit, comme l’a rappelé récemment le Conseil d’Etat… à propos des musulmanes et du burkini. Il ne faudrait pas qu’il y ait deux poids et deux mesures, d’un côté la liberté de porter le burkini et, de l’autre, l’interdiction de défendre une église. Voulons-nous d’une liberté religieuse à deux vitesses ?

Nous ferons tout ce que la loi républicaine autorise, mais aussi tout ce que la liberté chrétienne nous commande. A l’heure où l’on construit partout des mosquées, éventuellement avec des subventions publiques, les Parisiens sont particulièrement sensibles à la question de la survie de Sainte-Rita, question qui a d’ailleurs suscité des échos dans le monde entier début août. La perspective d’une destruction, en ce moment, est particulièrement mal venue et inquiétante pour nous tous ! L’église, c’est ce lieu où souffle l’Esprit, et il ne faut pas oublier que l’Esprit souffle sur tout le monde, que, dans la perspective chrétienne, personne n’est excepté de la fête spirituelle qui est la réalisation normale de notre destinée. On voit d’ailleurs des athées venir défendre l’église Sainte-Rita, et ils sont parfaitement cohérents, ce faisant. Ils reconnaissent d’instinct la supériorité du spirituel sur tous les profits temporels et sur toutes les spéculations immobilières.


— Vous aviez posé des conditions à cette célébration, pour quelles raisons ?


— L’affaire Sainte-Rita a été l’objet d’une tentative de récupération par des gens que j’appellerais volontiers des « catholiques radicalisés ». Une vidéo a fait le tour du net. Tournée en plein jour (pas du tout lors de nos manifestations), elle montre une dizaine de personnes à genoux et priant le chapelet devant Sainte-Rita et, au milieu de la prière, l’un des orants assénant un coup de poing mémorable à une personne de couleur qui passait par là. Ce groupe de catholiques radicalisés a un aumônier qui, sur le net, se fait appeler Mgr Mayol de Lupé (on voit où vont leurs amours). Ce sont eux-mêmes qui ont organisé la diffusion de la vidéo, narrant ce coup de poing en pleine prière, comme si c’était un exploit. Je veux bien que les policiers à Sainte-Rita aient eu l’initiative d’une violence maladroite (la photo de l’abbé Billot traîné par terre a fait le tour du monde), mais cela n’excuse pas le grand n’importe quoi de la violence gratuite, ni cette vidéo montrant un gros costaud abusant de sa force. Quant à nous, notre combat est légal, culturel et même politique s’il le faut, puisque la laïcité est en cause, mais nous ne voulons pas de cette violence gratuite et de ces vanteries déplorables.


— Quelle décision avez-vous prise ?


— Nous avons décidé de donner rendez-vous chaque premier dimanche du mois à tous ceux qui ne se résignent pas à la destruction. Nous entreprenons aussi de rassembler l’argent nécessaire pour racheter l’église et, pour cela, faisons appel à des mécènes. L’affaire Sainte-Rita dépasse largement les limites de cette église néogothique en béton. Elle pose au grand jour le malaise qui pointe dans notre laïcité. Nous luttons, à travers cette église, pour un véritable « vivre ensemble » où les uns et les autres sont respectés dans leurs convictions, nous voulons une société où l’on sait mettre l’argent en deuxième position quand les valeurs fondamentales sont en jeu, nous demandons que l’on écoute la population du XVe très largement favorable, avec son maire Philippe Goujon, au maintien de cette église, comme nous avons pu le constater en faisant les marchés ou en tractant devant les stations de métro.
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Propos recueillis par Philippe Vilgier
Rendez-vous : Sainte-Rita du XVe, dimanche 4 septembre à 11 heures. 27 rue François Bonvin, Paris 15e, Métros : Volontaires, Ségur, Cambronne. Bus : 80.